LA FORMATION PROFESSIONNELLE FACE À L'ÈRE DES VACHES MAIGRES : ENJEUX ET PERSPECTIVES JUSQU'EN 2027
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ILLUSTRATION IA |
I. INTRODUCTION : L'ÈRE DES VACHES MAIGRES ET SES IMPLICATIONS POUR LA FRANCE
La notion de « vaches maigres », tirée de la métaphore biblique des sept années d'abondance suivies de sept années de disette
Dans ce paysage économique contraint, la formation professionnelle, pilier essentiel de la mobilité sociale et de la compétitivité économique, se retrouve au cœur des arbitrages budgétaires gouvernementaux. Ce secteur, qui a bénéficié d'investissements et d'une expansion considérables ces dernières années, notamment via l'apprentissage et le Compte Personnel de Formation (CPF), fait désormais face à des réductions significatives des financements publics. Ce réalignement des politiques reflète une réévaluation plus large des priorités de dépenses publiques dans un environnement fiscal tendu, où chaque ligne budgétaire est examinée sous l'angle des économies potentielles. La présente analyse se propose d'examiner en profondeur les causes de cette période de « vaches maigres » pour la formation professionnelle, les réformes mises en œuvre, et leurs implications jusqu'aux prochaines élections présidentielles de 2027.
II. UN CONTEXTE ÉCONOMIQUE ET GÉOPOLITIQUE SOUS TENSION
A. Le Marasme Économique Français (2023-2025) : Croissance Ralentie et Inflation Persistante
L'économie française a connu un ralentissement notable, avec une activité qui a marqué le pas en fin d'année 2024 (-0,1 %) et des projections de croissance minime pour le premier semestre 2025 (+0,1 % au premier trimestre, puis +0,2 % au deuxième), aboutissant à un acquis de croissance de seulement +0,4 % à la mi-2025.
Cette décélération économique et le resserrement budgétaire actuel sont des conséquences directes des dépenses publiques massives engagées durant la période du « quoi qu'il en coûte ». Si cette politique a permis d'éviter un effondrement économique plus profond pendant la crise du COVID-19, elle a engendré une augmentation sans précédent de la dette publique, avec une hausse de 650 milliards d'euros entre 2019 et 2021, atteignant 2821 milliards d'euros.
B. L'Impact de la Guerre en Ukraine et de la "Guerre Économique"
Le conflit russo-ukrainien a considérablement assombri les perspectives économiques et budgétaires de la France.
Le marasme économique actuel n'est donc pas imputable uniquement à une gestion budgétaire interne, mais est significativement aggravé par des chocs géopolitiques externes. La « guerre économique », manifestée par les hausses des prix de l'énergie et des matières premières ainsi que les perturbations des chaînes d'approvisionnement, pose un défi complexe aux finances publiques. Elle contraint le gouvernement à des arbitrages difficiles entre le soutien aux ménages et aux entreprises (par exemple, un ensemble de mesures de 25 milliards d'euros pour atténuer l'impact de l'inflation
C. Les Déficits Publics Chroniques et l'Héritage du "Quoi Qu'il En Coûte"
La France est confrontée à des déficits publics persistants, atteignant 5,5 % du PIB en 2023 et prévus à 6,0 % pour 2024 par le gouvernement, avec un objectif de 5,4 % pour 2025.
Ce niveau élevé d'endettement suscite des inquiétudes chez les créanciers, ce qui pourrait se traduire par une augmentation des taux d'intérêt (prime de risque) et aggraver davantage le déficit, créant un risque de dette incontrôlable.
La politique du « quoi qu'il en coûte », bien qu'étant une réponse d'urgence nécessaire, a accéléré un problème structurel préexistant de dépenses publiques élevées et de déficits chroniques.
III. LES RÉFORMES DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE : UNE POLITIQUE DE RATIONALISATION ET D'ÉCONOMIES
A. La Baisse des Fonds pour l'Apprentissage : Conséquences pour les Entreprises et les Apprentis
Une réduction significative des aides financières aux contrats d'apprentissage est mise en œuvre à partir du 24 février 2025.
À partir du 1er mars 2025, le seuil d'exonération des cotisations sociales sur la rémunération des apprentis est abaissé à 50 % du SMIC (contre 79 % auparavant), ce qui aura un impact sur la rémunération nette des apprentis et augmentera les coûts administratifs et fiscaux pour les entreprises.
Ces réductions d'aides devraient avoir un impact direct sur la politique de recrutement des entreprises, en particulier les Petites et Moyennes Entreprises (PME) qui représentent 80 % des employeurs d'apprentis, pouvant entraîner une diminution du nombre d'apprentis embauchés.
Bien que le gouvernement présente ces changements comme des efforts pour optimiser et garantir la qualité de la formation
Voici un tableau récapitulatif de l'évolution des aides à l'embauche d'apprentis :
Tableau : Évolution des Aides à l'Embauche d'Apprentis en 2025
Type d'aide / Seuil | 2025 (à partir du 24 février) | |
---|---|---|
Entreprises < 250 salariés | 5 000 € | |
Entreprises ≥ 250 salariés | 2 000 € | |
Apprentis travailleurs handicapés | 6 000 € (cumulable) | |
Seuil d'exonération cotisations sociales (sur rémunération apprentis) | 50 % du SMIC (à partir du 1er mars 2025) |
B. L'Encadrement Renforcé des Certifications RNCP : Vers Plus de Qualité et de Pertinence
France Compétences a considérablement renforcé le cadre des certifications inscrites au Répertoire National des Certifications Professionnelles (RNCP), avec des modifications effectives en 2025.
Les changements majeurs incluent une structure de dossier de dépôt révisée pour plus de clarté et de contrôle, une analyse renforcée de l'opportunité sur le marché et des besoins en compétences, un suivi approfondi des titulaires de certification (taux d'emploi post-certification, secteurs d'activité, poursuites d'études), et des avertissements explicites contre les fausses déclarations.
À partir du 16 février 2025, les formations à la création ou reprise d'entreprise (ACRE) ne sont éligibles au financement par le CPF que si elles débouchent sur une certification enregistrée au RNCP ou au Répertoire Spécifique (RS).
Bien que ces mesures soient présentées comme des moyens d'améliorer la qualité et la pertinence des formations sur le marché du travail, le durcissement des critères RNCP et la suppression des formations ACRE non certifiantes de l'éligibilité au CPF servent également de mécanismes de rationalisation de l'offre de formation et de contrôle des dépenses publiques. En limitant les formations éligibles à celles qui démontrent des résultats probants et une adéquation avec le marché, France Compétences réduit implicitement le volume de formations potentiellement finançables, contribuant ainsi à la discipline budgétaire globale.
C. Le Durcissement de la Politique de Distribution des Fonds OPCO
Les Opérateurs de Compétences (OPCO) conservent un rôle central dans le financement de la formation professionnelle en 2025, mais leurs règles se durcissent et leur rôle évolue.
Si les petites entreprises (moins de 50 ETP) peuvent bénéficier d'augmentations d'enveloppes (500 000 euros supplémentaires), d'une hausse de la prise en charge par entreprise (de 6 000 € à 8 000 €), et de la prise en charge des rémunérations (jusqu'au SMIC)
Le durcissement des règles des OPCO, combiné au rôle de France Compétences dans la définition des régulations et des priorités
D. L'Impact du Reste à Charge sur le Compte Personnel de Formation (CPF)
Le principe d'un « reste à charge » obligatoire pour les utilisateurs du Compte Personnel de Formation (CPF) a été voté dans le cadre de la loi de finances pour 2023 et acté par un décret du 29 avril 2024.
Des exemptions sont prévues : cette participation n'est pas due par les demandeurs d'emploi ni par les salariés bénéficiant d'un abondement de leur employeur dont le montant est supérieur à leurs droits CPF ou aux plafonds d'alimentation.
Les objectifs affichés de cette mesure sont de « responsabiliser les bénéficiaires » en les incitant à choisir leurs formations de manière plus réfléchie et à s'impliquer financièrement, ce qui devrait améliorer l'efficacité et l'impact des formations.
L'introduction d'un « reste à charge » pour le CPF, bien que présentée comme un moyen d'accroître la responsabilité de l'utilisateur et la qualité des formations
Voici un tableau récapitulatif du montant du reste à charge CPF et des exemptions :
Tableau : Montant du Reste à Charge CPF et Exemptions (2025)
Caractéristique | Détail | |
---|---|---|
Montant du Reste à Charge (2024) | 100 € (à partir du 2 mai 2024) | |
Montant du Reste à Charge (2025) | 102,23 € (revalorisé) | |
Exemptions : | ||
Demandeurs d'emploi | Oui | |
Salariés avec abondement employeur > droits CPF ou plafonds | Oui | |
Prise en charge possible par : | ||
Employeur | Oui (pour salariés) | |
Opérateur de Compétences (OPCO) | Oui |
IV. LA RECHERCHE D'ÉCONOMIES POUR FINANCER L'ÉCONOMIE DE GUERRE
A. L'Augmentation Historique du Budget de la Défense (LPM 2024-2030)
La France s'est engagée dans un effort de réarmement sans précédent, avec un budget historique de 413 milliards d'euros alloué à la défense pour la période 2024-2030.
Le budget de la défense pour 2025 seul connaît une augmentation significative de 3,3 milliards d'euros, soit une hausse de 7 % par rapport à 2024, portant le total à 61,8 milliards d'euros pour le Ministère des Armées.
L'ampleur et le caractère historique de l'augmentation du budget de la défense établissent clairement la sécurité nationale et le réarmement comme la priorité budgétaire absolue.
B. Les Arbitrages Budgétaires : Quand la Formation Contribue aux Efforts de Défense
Dans un contexte où les finances publiques sont déjà sous forte contrainte
De plus, le ministère de la Défense a même dépassé son plafond de report de charges autorisé (23,8 % contre un maximum de 20 %) à la fin de l'exercice 2024, ce qui indique une volonté d'engager des fonds futurs pour les projets de défense malgré les contraintes budgétaires.
Les économies cumulées issues des réformes de la formation professionnelle (par exemple, 450 à 500 millions d'euros pour l'apprentissage d'ici 2026
Bien qu'il n'existe pas de déclaration gouvernementale explicite dans les informations disponibles liant directement les coupes spécifiques dans la formation aux financements de la défense, l'augmentation simultanée et significative des dépenses de défense
Voici un tableau comparatif des économies réalisées sur la formation professionnelle et de l'augmentation du budget de la défense pour 2025 :
Tableau : Comparaison des Économies sur la Formation Professionnelle et l'Augmentation du Budget Défense (2025)
Catégorie | Montant (2025) | |
---|---|---|
Économies estimées sur les réformes de l'apprentissage (2025-2026) | 450 à 500 M€ | |
Économies estimées sur la lutte contre la fraude dans les CFA (2025-2026) | 50 M€ (2025), 100 M€ (2026 total) | |
Augmentation du budget de la Défense (2024 vers 2025) | +3,3 Mds € | |
Budget total de la Défense (2025) | 61,8 Mds € | |
Part du PIB consacrée à la Défense (objectif 2025) | 2,0 % du PIB |
V. PERSPECTIVES ET ENJEUX JUSQU'AUX ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES DE 2027
A. Les Prochaines Étapes des Réformes de la Formation Professionnelle (NPEC, Qualiopi)
D'autres réformes significatives du financement de l'apprentissage sont prévues, notamment la mise en place d'une valeur unique par certification (NPEC – Niveaux de Prise en Charge), visant à réduire la complexité de 800 000 à environ 3 500 valeurs NPEC différentes, à compter de la rentrée universitaire 2026.
Des mesures de lutte contre la fraude et d'amélioration de la qualité des formations dans les CFA, y compris une révision de la certification Qualiopi, devraient être pleinement mises en œuvre d'ici l'été 2025.
La poursuite des réformes, en particulier la simplification des NPEC et la révision de Qualiopi, signale un effort continu de rationalisation du système de formation professionnelle et de centralisation du contrôle sous l'égide de France Compétences. L'objectif est d'assurer une plus grande efficacité et une meilleure adéquation avec les besoins du marché, mais aussi de maintenir la discipline budgétaire et de prévenir l'utilisation abusive des fonds, consolidant ainsi l'approche des « vaches maigres » où chaque euro dépensé doit démontrer une valeur et un impact clairs.
B. Les Défis de l'Emploi des Jeunes et l'Adéquation Compétences-Marché
Le rapport public annuel 2025 de la Cour des Comptes met en lumière des défis cruciaux pour la jeunesse, notamment en matière d'orientation, de prévention de l'échec universitaire (17 % des étudiants abandonnent dès la première année, 36 % obtiennent leur licence en 3 ans)
Le resserrement des financements de la formation, en particulier pour l'apprentissage
Il existe une tension palpable entre l'impératif budgétaire immédiat de réduire les dépenses dans la formation professionnelle et la stratégie nationale à long terme (France 2030) d'investir dans le capital humain et les compétences d'avenir.
C. Le Débat Politique et les Programmes des Candidats pour 2027
La prochaine élection présidentielle française est prévue pour le premier semestre 2027, le président en exercice, Emmanuel Macron, ne pouvant pas briguer un troisième mandat consécutif.
Les programmes présidentiels passés (2022) ont déjà mis en évidence l'importance de l'emploi, de la formation professionnelle et de la réindustrialisation.
La période actuelle de « vaches maigres » et les choix politiques qui en découlent, notamment en ce qui concerne la formation professionnelle et les dépenses de défense, deviendront inévitablement des enjeux politiques majeurs à l'approche des élections de 2027. Le discours gouvernemental sur la nécessité des réformes sera examiné à la loupe quant à leur impact social et leur efficacité, obligeant les candidats à articuler des visions claires pour concilier la responsabilité budgétaire avec l'investissement social et les priorités nationales. La capacité des futurs candidats à proposer des solutions crédibles et durables pour la consolidation budgétaire et le développement du capital humain sera déterminante, façonnant la trajectoire de la formation professionnelle au-delà de 2027.
VI. CONCLUSION : NAVIGUER DANS LA PÉRIODE DES VACHES MAIGRES
A. Synthèse des Arbitrages et des Impacts
La période menant aux élections présidentielles de 2027 est incontestablement celle des « vaches maigres » pour la formation professionnelle française. Cette situation est le résultat d'une interaction complexe entre des déficits publics chroniques, l'héritage de la politique du « quoi qu'il en coûte », et l'impératif de financer une « économie de guerre ». Les changements politiques spécifiques – la réduction des aides à l'apprentissage, le durcissement des critères RNCP, le resserrement des financements des OPCO et l'introduction du « reste à charge » pour le CPF – convergent vers une rationalisation et une réduction des dépenses publiques dans le secteur, visant à la fois des économies budgétaires et une amélioration de la qualité.
B. Les Enjeux à Long Terme
Si ces mesures visent à restaurer l'équilibre budgétaire et à financer des priorités stratégiques, elles posent des défis significatifs pour le développement du capital humain, l'employabilité des jeunes et l'accès équitable à la formation. Elles créent potentiellement une tension avec les objectifs de développement national à long terme. La conciliation entre la discipline budgétaire à court terme et l'investissement à long terme dans les compétences demeure un dilemme politique critique.
C. Recommandations et Perspectives
Le succès de la navigation à travers cette période dépendra de la capacité du gouvernement à communiquer de manière transparente la nécessité de ces choix, à atténuer leurs impacts sociaux et à s'assurer que les investissements essentiels dans les compétences d'avenir ne soient pas entièrement sacrifiés. Les élections de 2027 constitueront un jalon crucial pour définir la trajectoire future du modèle économique et social de la France, y compris le rôle et le financement de la formation professionnelle. Il sera impératif que les politiques publiques parviennent à trouver un équilibre entre la rigueur budgétaire nécessaire et la préservation d'un système de formation professionnelle robuste, capable de répondre aux besoins du marché du travail et de soutenir l'employabilité des citoyens à long terme.
SOURCE: LE CLUB RFP
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