PAUPERISATION ET CONTROLE: L'EVOLUTION DU SECTEUR DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE

PAUPERISATION ET CONTROLE: L'EVOLUTION DU SECTEUR DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE

Le secteur de la formation professionnelle en France est à un point de bascule. Historiquement perçu comme un levier de l'employabilité et une nécessité économique, il se mue sous nos yeux en un marché de plus en plus contrôlé, régulé et politiquement instrumentalisé. Le fil conducteur de cette transformation est clair : la centralisation, la régulation étatique accrue et, in fine, la paupérisation d'une grande partie des acteurs producteurs de la formation.

Un marché sous emprise : L'état en maître de jeu 🧐

La formation professionnelle n'a jamais été un marché totalement libre. C'est, par essence, un outil politique et économique majeur de l'État, destiné à orienter les compétences vers les besoins du pays. Cette vocation explique pourquoi l'État en est le principal régulateur et financeur, via des dispositifs complexes et des fonds publics.

Les abus et dérives observés dans la gestion de ces fonds, notamment avec l'explosion de certains dispositifs comme le Compte Personnel de Formation (CPF), ont servi de catalyseur à une régulation drastique. La réponse de l'État est une tendance lourde à la concentration : moins d'acteurs, mais de plus grande taille. L'idée est simple : des structures plus grosses sont plus faciles à auditer, à surveiller et à piloter politiquement.

Le modèle "Uber" de la formation : centralisation et précarité 🚗

Cette dynamique conduit à un rôle de l'État qui s'apparente de plus en plus à celui de l'UBER du secteur. La plateforme étatique (l'écosystème réglementaire, les financements, la Caisse des Dépôts et Consignations pour le CPF, etc.) définit les règles du jeu, les tarifs et l'accès à la "commande".

Les organismes de formation (OF), en particulier les plus petits, deviennent de facto les "conducteurs Uber". Ils sont indispensables pour la production de masse, l'expertise de niche et l'innovation, mais restent totalement dépendants de la "commande budgétaire suffisante" et des algorithmes de la plateforme. En cas de surabondance d'acteurs ou de réduction des financements, l'État peut, via des critères qualité ou financiers toujours plus exigeants, éjecter facilement ces "conducteurs" de la plateforme, garantissant ainsi son contrôle sur l'offre.

Le dilemme public-privé : innovation contre volume ⚖️

L'État est face à un paradoxe. D'un côté, il a besoin du secteur privé pour son dynamisme, son innovation et sa performance rapide, notamment sur les formations de pointe. De l'autre, des structures publiques ou associatives lui sont indispensables pour les commandes de formation volumineuses et politiquement sensibles, souvent programmées à l'approche d'échéances électorales pour afficher des bilans sociaux positifs.

L'orientation stratégique pour les années 2025-2027 semble viser à résoudre ce paradoxe par la subordination des petits acteurs. Les experts indépendants et les petits OF, souvent les plus agiles et qualitatifs dans leur domaine, sont poussés à n'être que des sous-traitants des gros opérateurs (les GAFAM de la formation ou les réseaux institutionnels). Cette centralisation permet aux gros acteurs de capter la relation client et aux régulateurs de rationaliser le contrôle.

La nouvelle armée du contrôle : Les documentalistes-consultants-auditeurs Qualité 📑

Dans ce climat, le rôle des documentalistes-consultants-auditeurs qualité et des cabinets de conseil spécialisés explose. La multiplication des normes (Qualiopi, certifications RNCP, contrôles Urssaf/Délégations Régionales DRIEETS etc.) crée un écosystème où la preuve documentaire et la conformité administrative prennent le pas sur l'expertise pédagogique.

Ces acteurs, souvent décrits comme des "charognards" ou des "surveillants", vivent de la complexité imposée et du travail de formalisation (non productif de valeur directe pour l'apprenant) qu'ils vendent aux organismes de formation. Leur existence même est un symptôme de la bureaucratisation du secteur et d'une défiance généralisée envers les acteurs de terrain.

Fracturation de l'écosystème et Exode des Experts 💔

L'instabilité réglementaire chronique et la pression sur les marges provoquent une fracture au sein de l'écosystème de la formation :

  1. Ceux qui grossissent : Les gros opérateurs qui parviennent à s'adapter à la régulation, à absorber les coûts de conformité et à bénéficier de l'effet d'échelle.

  2. Ceux qui se paupérisent : Les petits OF, les formateurs indépendants et les experts de niche qui voient leurs marges se réduire au rythme de l'augmentation des exigences administratives et de la baisse des tarifs de sous-traitance.

  3. Ceux qui fuient : Les véritables experts pédagogiques et thématiques, lassés par la paperasse et la pression, qui choisissent d'émigrer vers d'autres secteurs moins réglementés ou d'autres formats de transmission (l'édition, le coaching, la conférence, le conseil non certifiant).

Le secteur de la formation professionnelle est en train de perdre une partie de sa substance grise au profit de sa conformité administrative. L'État gagne en contrôle politique, mais l'écosystème perd en diversité, en agilité et potentiellement en qualité au niveau du contenu produit. La question n'est plus de savoir si la paupérisation est en cours, mais quand le manque d'experts de terrain se fera sentir dans l'offre globale de formation.

SOURCE: RFP

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